La science des données au service de la transition énergétique
Transition énergétique : namR était à la Sustainable Energy Week, événement qui étudie les pratiques énergétiques européennes sous différents spectres. Les acteurs de la transition énergétique sont invités à y participer pour échanger sur leurs méthodes, et augmenter leur connaissances sur ce qui se fait en Europe.
La Sustainable Energy Week
La Sustainable Energy Week est un événement de l’Union européenne portant sur les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique en Europe. Le thème de cette année était “Beyond the crisis: clean energy for green recovery and growth”, ou, l’utilisation d’une énergie propre pour une reprise et une croissance vertes au-delà de la crise. L’événement s’est tenu du 23 au 25 juin 2020 en ligne.
Les problématiques abordées concernaient l’énergie durable, les politiques menées en faveur de la transition énergétique, les meilleures pratiques et les améliorations possibles. En parallèle des séminaires en ligne, des sessions de réseautage ont été organisées pour rassembler les acteurs de l’efficacité énergétique. Enfin, les prix EUSEW ont récompensé les individus, projets et idées remarquables.
La manifestation s’adressait à tout acteur économique : pouvoirs publics, acteurs de l’énergie, industriels, entreprises, entités représentant la société civile et les médias.
Les intervenants provenaient de collectivités territoriales allant de la commune aux institutions européennes, d’entreprises privées, d’organismes de recherche, de collectifs citoyens et d’ONG.
Les objectifs de ces rendez-vous étaient :
- de faire rencontrer les différents acteurs de l’écosystème de la transition énergétique
- d’augmenter les connaissances en matière de politiques efficaces
- favoriser l’émergence d’idées novatrices pour atteindre les objectifs énergétiques et climatiques de l’Union européenne.
Data Science, Energy Efficiency & transition énergétique
La session “L’intelligence artificielle au service du développement durable” était animée par Bettina Laville et Grégory Labrousse.
Entrepreneur et innovateur, Grégory Labrousse a fondé très jeune de nombreuses sociétés. Depuis 2013, il se passionne pour le grand mouvement de l’ouverture des données et de la science des données, qu’il met au service de la transition énergétique, écologique et de la transformation de nos modèles économiques. En 2017, il décide de créer namR avec Emmanuel Bacry, alors professeur et responsable de l’Initiative « Data Science » à l’École polytechnique, et Lila Tretikov, CEO de l’Initiative Terrawatt.
Bettina Laville est conseillère d’État honoraire et a été directrice du cabinet de plusieurs ministres, puis conseillère sur les questions d’environnement auprès de deux Premiers ministres Pierre Bérégovoy et Lionel Jospin, et du Président de la République François Mitterrand. Elle est membre du conseil scientifique de l’Institut Mines-Télécom, présidente fondatrice du Comité 21, présidente du comité stratégique de namR et cofondatrice du Festival des Nouvelles Explorations depuis 2016. Créatrice de la revue Vraiment Durable, elle est l’auteure d’une dizaine d’ouvrages et de rapports sur l’environnement, le développement durable et l’adaptation au changement climatique.
La bataille du siècle
Bettina Laville a introduit en évoquant ce qu’aurait dû être le début de son intervention si elle avait été faite dix ans auparavant. Elle aurait listé les éléments de mix énergétique tels que le nucléaire, le charbon, les énergies renouvelables et thermiques. Dorénavant, on ne parle plus d’énergie seulement, mais du couple “énergie-climat”. Cette différence est liée au contexte actuel de réchauffement climatique. En effet, celui-ci est actif, beaucoup plus actif que dans les pires scénarios qui étaient alors en cours.
Bettina Laville en veut pour preuve l’édition 2022 du rapport du Giec qui se construit à partir du scénario le plus pessimiste de la dernière décennie – auparavant jugé impossible – celui-ci étant devenu plausible.
Une conscience collective est en train d’émerger, allant heureusement dans le sens de la transition. Nous sommes en effet, selon Bettina Laville, dans une année de transition pour plusieurs raisons :
- les événements liés au réchauffement climatique sont connus
- la demande en énergie augmente à proportion de l’évolution démographique mondiale et de l’industrialisation massive et émergente des pays émergents ;
- les transmissions augmentent, augmentant d’autant plus la demande énergétique des serveurs.
“ D’ici 2040, l’énergie requise pour les besoins en calcul devrait également dépasser la production énergétique mondiale. Les progrès de la blockchain pourraient également faire exploser nos besoins énergétiques. Il est donc capital de sensibiliser le plus grand nombre à ces enjeux et d’agir pour prévenir les pénuries.
Près de 4 % des émissions carbonées mondiales sont dues à la production et à l’utilisation du système numérique. La consommation énergétique du numérique augmente de 8,5 % par an et sa part dans la consommation mondiale d’électricité (en croissance de 2 % par an) pourrait atteindre 20 % (scénario modéré) ou 50 % (scénario pessimiste) en 2030, et être ainsi multipliée par 10 en 20 ans. Vu le mix électrique mondial, la part d’émissions de gaz à effet de serre (GES) du numérique va ainsi passer de 2,5 % en 2015 à 5 % en 2020 (2,5 Gt).”
Extrait du rapport “Donner un sens à l’intelligence artificielle” de Cédric Villani
Les États se dotent d’outils législatifs extrêmement efficaces pour lutter contre le réchauffement climatique. De plus, une conférence des citoyens a été organisée qui est à l’origine de 143 mesures. Ces mesures concourent à la rénovation énergétique, à la justice sociale, et à la baisse des émissions de CO2 (elle a visé le vert, l’équitable, mais a occulté le numérique selon Bettina Laville).
Cependant, en additionnant les mesures liées à la baisse des émissions, l’objectif de contenir le réchauffement à 2°C ne sera pas atteint…
Les deux bras armés français de la transition énergétique
Dans sa lutte contre le réchauffement climatique et ses conséquences à venir, la France s’appuie sur deux leviers : la programmation pluriannuelle de l’énergie et la Stratégie Nationale Bas-Carbone.
Programmation pluriannuelle de l’énergie
C’est l’outil de pilotage de la politique énergétique française qui dessine le chemin que doit suivre le gouvernement. Il s’agit de la loi de la Transition Énergétique pour la Croissance Verte créée en 2015 prévue jusqu’en 2018, puis reconduite jusqu’en 2023.
Ses objectifs sont multiples :
- la sécurité de l’approvisionnement
- la baisse de la consommation d’énergie fossile
- diversification (du mix énergétique)
- développement équilibré des réseaux (pour favoriser notamment la production locale d’énergie, le développement de réseaux intelligents et l’autoproduction)
- préservation du pouvoir d’achat des ménages
- préservation de la compétitivité des entreprises
- évaluation des besoins de compétences professionnelles (énorme effort de formation à produire)
La programmation pluriannuelle est la première brique de la Stratégie Nationale Bas-Carbone.
La Stratégie Nationale Bas-Carbone
Il s’agit d’une feuille de route pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, ayant pour échéance 2050. Bettina Laville a tenu à rappeler le danger de ces échéances lointaines…
D’une part, dans un contexte où les gouvernements fonctionnent par quinquennat, il est à craindre des baisses de vigilance de ceux-ci. * En effet, un gouvernement peut s’évertuer à mettre en place des mesures drastiques et les voir annulées par le gouvernement suivant. D’autre part, mettre en place les mesures nécessaires mais contraignantes pour la population est un risque pour un élu. Cela peut être mal perçu et le candidat politique risque de ne pas se faire réélire au mandat suivant.*
* Ensuite parce que l’appréciation de la menace s’amoindrit à mesure que son échéance est éloignée. En effet, évoquer des événements ne survenant qu’à long terme ou au-delà de l’espérance de vie humaine a de grandes chances de désamorcer la motivation à s’impliquer ou lutter.
“ Des auteurs tels que Hellequin en 2013 mettent en avant le biais d’optimisme : c’est la tendance générale de l’individu à estimer que les dangers qui guettent les autres vont l’épargner personnellement, qu’il ne sera pas touché ou à un moindre degré.
Les risques environnementaux peuvent avoir un effet anxiogène, ce qui va avoir comme conséquences (O’Neill et al., 2009) : l’exclusion des informations reçues ; l’oubli du problème avec le temps ; le fait de se concentrer sur des tâches personnelles ; le sentiment d’avoir trop à faire ; et enfin d’accuser un groupe cible (politiques, industriels, etc.).
[…]La littérature met en avant la tendance générale des individus à mettre en place un mécanisme de déni des risques environnementaux. Les facteurs internes et externes spécifiques au changement climatique vont rajouter des barrières à sa prise en compte. Ces barrières sont d’ordre individuel et sociétal et parmi elles, une double distanciation spatiale-sociale (entre les acteurs et les victimes du changement climatique) et temporelle.
Temporelle car considérant que le problème ne deviendra visible que dans plusieurs décennies. Les individus ne perçoivent donc pas le risque du changement climatique, or la décision d’agir dépend de la représentation du risque et des efforts à mettre en place pour l’éviter. Ce point est fondamental à prendre en considération, la plupart des enquêtés ne perçoivent pas les conséquences actuelles du changement climatique. Lorsqu’il y a une inquiétude, elle est dite pour la société en général, mais pas personnelle et sur une échelle de temps long (Barbará et al., 2011).”
Source : Extraits du rapport de recherche “Perceptions et représentations du changement climatique auprès des populations dans leur cadre de vie” – Anouk Bonnemains
LabEx ITEM. 2016. ffhal-01420366v2ff *
De ce fait, des documents intermédiaires – tels que la programmation pluriannuelle – sont essentiels pour conserver ou mettre à jour les objectifs. La grande stratégie fonctionne par tranches, et les objectifs sont donc revus fréquemment par ce biais.
Après la crise de 2008, un espoir a été nourri quant à un changement de modèle économique. Cela dit, la relance économique menée en 2009 n’en a pas revu les paradigmes et a accompagné avec elle une croissance exponentielle des émissions de CO2.
Pour rappel, dans le cas d’une croissance linéaire, l’augmentation est toujours égale à elle-même d’une année sur l’autre.
Par exemple, on peut parler d’une croissance linéaire de rejet CO2 dans l’atmosphère si la valeur est de + 50 T en 2010, + 50 T 2011 et + 50 T 2012.
Dans un cas de croissance exponentielle, non seulement il y a une augmentation mais celle-ci augmente au cours du temps. La croissance est donc de plus en plus rapide.
Nous sommes actuellement dans ce contexte où il faut relancer rapidement l’économie, avec cette ambition intacte de changement de modèle économique.
Plusieurs plans de relance sont en cours d’étude en France, avec une volonté émise du Président de la République de faire de la croissance verte. Nous sommes potentiellement, à l’été 2020, à l’aune d’un plan de relance français vert.
Une stratégie de relance économique française doit se faire en respect de la réglementation européenne puisque nos émissions de CO2 entre autres sont lissées à cette échelle (tous les pays européens ne sont pas égaux en termes d’émissions de CO2).
En quoi consiste une relance européenne ?
La présidente de la commission européenne, Ursula von der Leyen, a lancé un green deal important avant la crise de la Covid, le Green New Deal. Il s’agit d’un ensemble d’initiatives politiques proposées par la Commission européenne dans l’objectif de rendre l’Europe climatiquement neutre en 2050.
C’est une enveloppe budgétaire de plusieurs milliards d’euros qu’il s’agit de flécher en direction de, notamment :
- la rénovation des bâtiments
- les énergies renouvelables (hydrogène notamment)
- la mobilité propre
- l’économie circulaire.
Bettina Laville informe que ce green deal a été jugé parmi les plus importantes des politiques européennes.
La rénovation du bâtiment
Parmi ces orientations, la rénovation du bâtiment est prioritaire. La Commission affirme qu’elle est en effet “une nécessité pour parvenir à une UE climatiquement neutre et une priorité d’investissement claire et où tout le monde est gagnant, en faveur d’une relance verte, numérique et équitable.”
En plus d’être une mesure parmi les plus efficaces écologiquement, celle-ci créera des emplois. Bettina Laville nous informe qu’un mécanisme européen de financement des rénovations va prochainement être mis en place.
Énergies renouvelables et hydrogène
Le plan de relance propose de se concentrer en parallèle sur les énergies renouvelables et sur l’hydrogène, indiquant que les deux sont nécessaires pour une décarbonisation en profondeur. « Sans une croissance durable du marché des énergies renouvelables, il n’y a pas d’avenir pour l’hydrogène propre en Europe, alors que la technologie de l’hydrogène durable a un rôle crucial à jouer dans la décarbonisation de l’économie », souligne le document.
C’est la première fois que l’hydrogène est cité comme une énergie verte. Le chemin est actuellement long pour parvenir à un état de développement suffisant pour l’exploitation de cette énergie en Europe.
À ce jour, 95 % de l’hydrogène est produit à partir de pétrole, gaz naturel et charbon car c’est la méthode la moins coûteuse (appelée technique de reformage). Il s’agit de faire réagir du méthane avec de l’eau pour obtenir un mélange contenant de l’hydrogène et du CO2.
Pour que l’utilisation de l’hydrogène soit décarbonée ou propre, celui-ci doit être produit :
- par électrolyse de l’eau (séparation d’une molécule d’eau en hydrogène et en oxygène) réalisée avec du nucléaire, des éoliennes ou du solaire
- par thermolyse de l’eau dans des centrales nucléaires haute température (dissociation des atomes d’une molécule sous l’effet de la chaleur ; si on dissocie H2O on obtient de l’hydrogène et de l’oxygène, comme avec l’électrolyse)
- par la technique du reformage en utilisant du biométhane (méthane issu de la fermentation de la biomasse)
- par la technique du reformage et mettre en place un système de captation et de stockage de CO2
Sources : Jean-Marc Jancovici – IFP Energies nouvelles – Futura science
Mobilité propre
Outre le dispositif d’achat de véhicules propres à l’échelle de l’UE, le transport ferroviaire est étudié. Le plan mettra l’accent sur les possibilités de faire passer au rail l’acheminement de fret et de passagers. Davantage de fonds pourraient aussi être octroyés aux programmes de mobilité urbaine, tels que les infrastructures cyclables.
Pour Bettina Laville et Grégory Labrousse, recourir à l’intelligence artificielle est fondamental. La Commission européenne abonde heureusement dans ce sens en mettant en avant le recours au numérique dans le rapport. La technologie et l’environnement ne doivent plus être envisagés séparément, ils ne s’opposent plus.
L’écosystème du numérique regorge d’acteurs porteurs de solutions dans la lutte contre le dérèglement climatique. Le rapport de Cédric Villani, “Donner un sens à l’intelligence artificielle”, émet l’hypothèse que diverses disciplines – ayant la connaissance de la complexité des ressources énergétiques – alliées à l’intelligence artificielle peuvent créer une synergie efficace.
Il cite notamment :
- le stockage sur ADN dont le potentiel permettrait des économies non négligeables
- des méthodes de séquençage et d’imagerie automatique pouvant modéliser la biodiversité et ses interactions avec le climat notamment
- prédictions des risques et impacts sur le climat et la météo en liant les données météo classiques avec celles relatives à la mobilité.
Selon Cédric Villani, “l’intelligence artificielle ouvre des perspectives radicalement nouvelles pour la compréhension et la préservation de l’environnement. Que ce soit en termes d’identification et préservation de la biodiversité, de réparation des dommages causés, de modélisation de l’impact de nos actions, d’optimisation de l’utilisation des ressources, de mise en valeur des énergies renouvelables ou bien comme outil au service de services partagés, l’intelligence arificielle peut contribuer à diminuer toutes nos consommations et à amplifier toutes nos actions en faveur du respect et de la restauration des écosystèmes régionaux et globaux.”
Extraits du rapport “Donner un sens à l’intelligence artificielle” – Cédric Villani
Bettina Laville cite ensuite Pascal Canfin, auditionné par le Sénat le 24 juin : “nous avons atteint en Europe une maturité sociétale, culturelle et technologique”. Nous ne répéterons pas les erreurs de la crise financière de 2008.
750 milliards d’euros sont potentiellement sur la table, auxquels s’ajoutent toutes les aides de l’État à hauteur de 2 000 milliards d’euros. 3 000 milliards d’euros sont donc dédiés à la transition énergétique, ce qui est complètement vertigineux pour la Présidente du Comité 21.
Quelle est la condition de réussite de ce plan ?
Pour Bettina Laville, le plan ne doit pas seulement consister en des réunions, colloques ou rencontres de chefs d’états, car c’est le meilleur moyen de remettre en question l’utilité de cette enveloppe. Les citoyens européens doivent en voir les effets.
L’intelligence artificielle, ou toute autre technologie permettant de rentrer dans la réalité physique de tout ce qui nous entoure, sera un tremplin considérable pour la transition énergétique et écologique.
En qualifiant l’environnement, elle permet d’identifier ce qui peut être changé, amélioré, rénové. L’intelligence artificielle est un outil de massification, et bien utilisée, elle accélère les prises de décisions pour permettre aux citoyens de voir les avancées des orientations politiques. L’intelligence artificielle est le bras armé de cette relance verte.
namR, pionnier de l’intelligence verte au service de la transition énergétique
Depuis plus de trois ans, namR forge son expertise dans le domaine du bâtiment notamment, et contribue aux accélérations sociétales attendues par la coalition européenne.
Le champ d’action peut concerner la transition énergétique, les énergies, ou l’amélioration des sols (déterminer la meilleure utilisation possible de friches par exemple).
Pour Grégory Labrousse à qui c’est au tour de prendre la parole, l’économie verte ne se fera pas sans le numérique. Il existe un ensemble de documents qui trace les lignes d’un plan numérique pour une industrie verte qui va au-delà de l’innovation matérielle. En effet, lorsque l’on cible l’hydrogène pour accélérer la transition énergétique, il faut en construire l’utilisation finale, le véhicule par exemple. L’intelligence artificielle peut intervenir efficacement dans le processus. Elle peut contribuer à l’étude de matériaux isolants pour en connaître la meilleure résistance possible.
En février 2020, la Commission européenne a lancé plusieurs initiatives :
- stratégie basée sur l’utilisation de données non personnelles
- livre blanc d’intelligence artificielle autour de thèmes dits “à haute valeur ajoutée” tels que la santé, l’environnement, l’économie, l’emploi et la formation
- plans plus techniques sur l’éthique (très importante en termes de données et d’intelligence artificielle).
Il évoque ensuite les GAFA qui récupèrent nos données personnelles à notre insu ou avec notre consentement quoique nous fassions. Grégory Labrousse conclut la citation en disant que nous pouvons gagner la bataille des données non personnelles.
Il prend l’exemple des informations non personnelles, relatives au bâtiment. Grégory Labrousse cite le cas de l’Europe qui compte environ 100 millions de bâtiments, qu’ils soient résidentiels ou tertiaires. 100 millions de bâtiments, cela représente 100 millions de toits, d’entités potentiellement auto-consommatrices, de points de recharge électriques, ou de sources de chaleur pouvant être orientées vers des piscines pour les chauffer…
À partir de là, il s’agit d’identifier les entités qui vont être intégrées à la solution : les transformateurs Enedis, les rues, les toits, les chaudières… l’intelligence artificielle va faire communiquer ces entités entre elles pour identifier la meilleure manière d’arriver à un résultat répondant aux problématiques soulevées par la transition énergétique.
L’enjeu de l’Europe est de tirer profit des 3 000 ans de son histoire, d’autant de textes législatifs et de procès à une époque où les États-Unis n’existaient pas.
Bettina Laville cite à ce moment l’ordonnance de Brunoy qui, au 14e siècle, va fonder la politique forestière française. C’est un des premiers textes qui va concerner le développement durable, qui dit notamment “les coupes doivent être soutenables”.
« Les maîtres des eaux et forêts enquerront et visiteront toutes les forez et bois et feront les ventes qui y sont, en regard de ce que lesdites forez se puissent perpétuellement soustenir en bon estat »
Au-delà des données juridiques, il s’agit dorénavant d’envisager un environnement qui ne s’oppose pas à la technique, et d’exploiter les données historiques qui vont la nourrir.
Les données ouvertes, le nouvel or noir
Le sens de l’histoire va vers cette numérisation des données qui ont fondé nos sociétés. Pour donner une idée du potentiel de l’utilisation de données non personnelles, Grégory Labrousse liste un exemple d’entités. La stratégie européenne des données consiste en l’ouverture des informations du cadastre, du bâtiment, des consommations d’énergie, des forêts, des parcelles, et grâce aux satellites, des données liées au climat (pollution, données socio-économiques, les flux, la mobilité…), des données relatives aux élections, administrations, ouvertures et fermetures d’administrations et entités publiques…
Les données ont pour but de caractériser les actions, non pas en fonction des personnes, mais en fonction de l’environnement. Par exemple, il vaut mieux rénover dix rues à un endroit en fonction de leurs caractéristiques (résidences mal isolées soumises à une météo peu clémente par exemple) plutôt que chaque résidence séparément dont les propriétaires auraient été manipulés par des publicités vantant des rénovations, qui au final s’avèrent non conformes ni contrôlées.
Rénovations immobilières, mix énergétique… comment s’illustre l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les domaines de la transition énergétique ?
Le couple data / intelligence artificielle permet non seulement d’optimiser les séquences pour lutter contre le réchauffement climatique, mais il permet aussi la duplication des actions à des échelles plus larges, pouvant être mondiales.
Conseiller New York sur les politiques fiscales à faire grâce à l’intelligence artificielle ? Considéré le potentiel du machine learning, c’est tout à fait envisageable. En effet, une fois menées les rénovations énergétiques à l’échelle d’une commune, la machine reconnaîtra les paramètres à prendre en compte, pondèrera leur importance, et pourra extrapoler à d’autres communes d’environnement différent les choix à faire en matière de politique de rénovation énergétique.
On peut facilement envisager l’intelligence artificielle et l’exploitation de données non personnelles comme une nouvelle industrie.
Malheureusement, il existe des algorithmes pouvant être considérés d’intérêt général qui restent sous scellé du privé. Il s’agit notamment d’algorithmes capables de prédire le montant des primes d’assurance à l’échelle d’une commune en fonction des événements y ouvrant droit. La logique de Grégory Labrousse est la suivante : la planète est un bien commun, l’assurer devrait être du ressort de l’intérêt général, et donc le partage de tout ce qui peut y aider devrait être une évidence.
Lors de l’élaboration de la loi Lemaire, Axelle Lemaire avait justement suggéré l’utilisation du terme “données de bien commun”, finalement rejeté par le Parlement.
Au risque de conflit commercial, Grégory Labrousse suggère l’ouverture des données concernant les bailleurs sociaux. En effet, si les données des 4,7 millions de logements des 720 organismes de logements sociaux étaient partagées, nous pourrions avancer. C’est à partir de ces données que nous pouvons envisager de bâtir une stratégie de rénovation énergétique thermique…
Grégory Labrousse prend ensuite l’exemple des passoires thermiques. À ce jour, le Président de la République française a pris l’engagement de faire rénover 5 millions de logements caractérisés ainsi avant 2030. Pour y arriver, il s’agira d’avoir l’ensemble des informations nécessaires, même confidentielles.
Grégory Labrousse suggère alors la création d’une base de données de service public. Elle devrait agréger ces données / fonctionnalités :
- informations cadastrales
- consommations d’énergie
- morphologie
- données climatiques
- caractéristiques de l’environnement physique proche
- les acteurs locaux de la rénovation
- actions possibles à mener pour rénover.
Grégory Labrousse considère qu’aujourd’hui, la rénovation est faite à l’aveugle et est dépendante de la publicité. Bettina Laville réagi à cette dernière remarque en faisant savoir que le collectif citoyen pour le climat a fait arrêter les actions de publicité pouvant nuire au climat. D’autre part, ces actions publicitaires ont pour vocation à motiver des rénovations individuelles alors qu’il y a urgence à massifier ces actions, à agir collectivement. À l’échelle du particulier, les motifs à agir ainsi sont actuellement de plusieurs ordres selon Bettina Laville : le confort, une considération moindre pour l’environnement, et surtout des économies d’ordre fiscal. Elle suggère que ce ne soit plus un choix individuel visant ces seules orientations, mais, citant De Gaulle, “une ardente obligation”. En effet, derrière les réfections des bâtiments, il s’agit de conserver notre vie. L’accélération de ce mouvement est capitale car nous n’avons pas assez de temps.
Grégory Labrousse rappelle que l’objectif est bien la massification, et que ce sera l’outil qui la permettra. Le véritable enjeu est de connaître le frein qui bloque la massification… pourquoi plafonne-t-on à 380 000 rénovations (pas assez efficaces selon l’Ademe) par an ?
Selon Grégory Labrousse, ce n’est pas une question de main d’œuvre. Et cela ne le sera pas car la transition énergétique est créatrice d’emplois. Nous avons tous les outils en main pour la mener, avec le potentiel considérable que représente l’intelligence artificielle. Il s’agit d’une question à laquelle Grégory Labrousse n’a pas de réponse.
La rénovation thermique et le tout premier secteur pouvant être concerné par la combinaison de la volonté verte et de l’intelligence artificielle.
Pour Grégory Labrousse, il existe deux manières de faire des économies sur des travaux : en industrialisant les techniques employées et par la massification faite grâce à l’information disponible.
Pour ce dernier point, la méthode est simple : lorsque l’on connaît le profil commun de bâtiments à rénover, on peut optimiser au maximum les séquences de rénovation.
Ces informations sont disponibles grâce aux données publiques ouvertes que l’on recueille. Au fil des années, des appels d’offres ont été faits pour mener des rénovations sur les bâtiments publics et la législation est contrainte de faire des mises en concurrence, puis de publier les attributions des marchés. Nous savons quelles ont été la nature des équipements rénovés et mis en place. Nous avons donc toutes les informations sur les isolants, ou les composants de toitures par exemple. La conjonction de la législation et de l’intelligence artificielle peut, et doit permettre l’accélération du mouvement.
La combinaison de l’intelligence artificielle, du numérique et de la relance verte ne se fera que s’il y a une action extrêmement importante sur la diminution de l’énergie qu’utilisent les GAFA et tout ce secteur, car elle est exponentielle. Le poids énergétique de ces acteurs, dépendant de nos comportements (le recours au streaming par exemple), pourrait annuler tous les efforts qui sont faits en faveur de la rénovation verte.
Pour Bettina Laville, la transition est dorénavant multifactorielle car nous avons trop attendu, tardé et douté.
Le numérique ne doit plus être dissocié de la transition énergétique, ses émissions de gaz à effet de serre dépasseront celles du transport aérien d’ici 2050.
La consommation énergétique liée au numérique est le troisième poste de consommation d’électricité, et elle double tous les cinq ans. Grégory Labrousse informe que l’empreinte écologique du numérique dépend de trois facteurs : les gaz à effet de serre, l’utilisation de terres rares, et la biodiversité liée au recyclage des composants.
La piste d’optimisation consistera en :
- une meilleure supply chain digitale impliquant une traçabilité des matériaux
- le “verdissement” des data centers
- une intelligence artificielle au service d’une intelligence artificielle verte.
Pour Bettina Laville, les leviers essentiels pour mener à bien la transition sont :
- l’éducation (ne serait-ce que pour sensibiliser sur l’impact écologique d’une utilisation quotidienne d’un ordinateur)
- d’agir sur la manière dont sont alimentés les serveurs et l’énergie utilisée. La renationalisation des serveurs (souvent situés dans des pays émergents pour des questions de rentabilité) pourrait nous permettre d’être maîtres de ces facteurs
- de rationaliser tous les emplois du numérique pour démultiplier les économies d’énergie.
La sobriété doit être le maître mot d’une valeur qui doit nous guider, et nous devons employer tous les moyens pour redevenir sobres.
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